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Placer la Palestine sur la carte mondiale du vin, défi fou ou retour aux sources ?

Publié le lundi 19 septembre 2016, Thèmes : - Économie, Lieux : - Taybeh

Nadim Khoury a monté il y a 20 ans la première brasserie palestinienne. Après la bière, lui et son fils Canaan veulent inscrire la Palestine sur la carte des cépages du monde.

Renchérissant sur le succès de la brasserie, les Khoury ont fondé leur entreprise viticole en 2013 dans le village semi-montagneux de Taybeh, quand Canaan est rentré de ses études aux Etats-Unis.

Les Khoury, chrétiens, comptent parmi la poignée de producteurs de vin palestinien, comme les frères salésiens du monastère de Crémisan près de Bethléem.
Les variétés de raisin pouvant entrer dans la fabrication du vin sont pourtant au nombre d’une vingtaine en Cisjordanie.

Cultivé en terrasses, agrippé aux collines escarpées, s’étendant à perte de vue au bord des routes, le raisin est l’un des principaux produits agricoles palestiniens, derrière l’olive. Il se décline sous toutes les formes dans la cuisine palestinienne, servi en dessert, pressé en jus... Les feuilles de vigne, farcies de riz ou de viande, sont incontournables pour les tables de fête et les repas familiaux.

Les vignes couvrent près de 5% des terres cultivées de Cisjordanie et produisent chaque année plus de 50.000 tonnes de raisin, selon le ministère palestinien de l’Agriculture.

Mais les Palestiniens, musulmans à 98%, ne produisent pas de vin ou si peu. Non pas que la Cisjordanie soit étrangère à la viticulture : le territoire est occupé par l’armée israélienne depuis près d’un demi-siècle et les colons qui se sont installés en Cisjordanie - bien que la communauté internationale juge leur implantation illégale - fabriquent du vin israélien sur une vingtaine de vignobles.

Pour les Khoury, membres de la communauté chrétienne qui représente 90% de la population de Taybeh - l’une des plus fortes concentrations de Cisjordanie - produire un vin palestinien est autant une question de goût qu’un acte de foi dans leur terre et dans l’histoire millénaire de la vigne ici bas.

« Depuis l’époque du Christ, les gens font du vin en Terre sainte », dit Nadim Khoury, dont le prénom en arabe signifie « le commensal », le compagnon de repas bien arrosé célébré déjà il y a des siècles dans la poésie pré-islamique. « Ma grand-mère et mon grand-père pressaient le raisin chez eux », se souvient sa fille Madees, qui tient la brasserie Taybeh.

Leurs descendants veulent à présent « augmenter la production et améliorer la qualité », dit-elle.

Leurs fûts de chêne venus de France et d’Italie délivrent chaque année 30 à 35.000 bouteilles de Cabernet Sauvignon, Merlot et Syrah rouges et blancs, concoctés à partir du raisin récolté autour de Taybeh.

Plus au sud, non loin de la ville d’Hébron réputée comme l’une des plus conservatrices de Cisjordanie, les Khoury ont déniché un cépage original, le « Zeini ». De ce vignoble situé à presque 1.000 mètres d’altitude, ils tirent un breuvage parfumé et un peu acide, qui fermente et vieillit dans des cuves d’acier et qui se consomme rapidement, pour combattre la chaleur de l’été palestinien ou accompagner le poulet grillé.

Les Khoury veulent faire reconnaître le Zeini comme le premier cépage palestinien. Ils espèrent faire voyager le nom de Palestine, ce rêve d’Etat qui attend toujours de se réaliser, dit Madees Khoury en triant avec les employés de l’entreprise familiale les raisins sur un tapis déroulant qui achemine les fruits vers une presse mécanisée, le dernier cri venu d’Italie selon son père.

Exporter un vin siglé « Palestine » n’est pas une mince affaire. « Les accords de libre-échange avec les Etats-Unis, par exemple, évoquent la Cisjordanie et non la Palestine, donc nous avons dû modifier nos étiquettes », explique Nadim Khoury. Sur le devant de la bouteille figure la mention « Palestine » (la famille y tenait). Mais au dos de la bouteille, l’adresse sur l’étiquette est : « Taybeh, Cisjordanie ».

« Si Dieu le veut, avant Noël notre vin sera vendu aux Etats-Unis », assure Nadim Khoury, pas peu fier de son « grand exploit : avoir maintenu le nom de Palestine », de haute lutte. Faute de structures appropriées ou de filière organisée sur le territoire, il a fallu deux ans pour obtenir de l’Autorité palestinienne le label nécessaire pour l’export.

L’environnement est favorable à la viticulture, dit Ghassan Cassis, qui cultive dans les vignes familiales à Bir Zeit, près de Ramallah, le raisin ensuite revendu à Nadim Khoury et pressé par ce dernier. « Nous sommes à 750 mètres au-dessus de la mer, l’humidité et la rosée s’évaporent vite, l’ensoleillement est bon », explique ce homme formé en Australie.

Mais il s’inquiète de l’avenir de la viticulture palestinienne.

« Latroun, qui était une ville palestinienne de vin jusqu’à la guerre de 1967, est maintenant en Israël et produit un vin vendu comme israélien », souligne-t-il.
Et comme le monastère de Crémisan est depuis des années sous la pression du tracé de mur de séparation construit par Israël pour se protéger contre les auteurs d’attentats venus de Cisjordanie, Nadim Khoury s’inquiète que Taybeh finisse un jour par devenir « l’unique fabrique artisanale de vin en Palestine ».

Source : Assawra


Voir en ligne : https://assawra.blogspot.fr/2016/09...

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