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Les difficultés de la zone franche de Jéricho

Publié le vendredi 28 avril 2017, Thèmes : - Économie, Lieux : - Jéricho

Suite au voyage de neuf journalistes issus de huit pays de l’Union européenne (UE), invités par la délégation de l’Union européenne en Palestine afin d’y constater divers aspects des soutiens apportés à l’Autorité palestinienne.

La zone franche de Jéricho (Jericho Agro Industrial Park, JAIP), dans la vallée du Jourdain, a des ambitions : « favoriser par des incitations fiscales et des infrastructures modernes les investissements locaux et internationaux en Palestine et les exportations palestiniennes », qui restent extrêmement faibles, explique un responsable local, Naiem Attoun. Ces « zones franches » balbutiantes, la Palestinian Industrial Estates and Free Zones Authority en détient deux autres en Cisjordanie, à Bethléem et Jénine (une quatrième, à Gaza, est inactive). Et trois sont en projet en Cisjordanie, près de Naplouse, Hébron et Rawabi, une « ville nouvelle » en construction lancée par un millionnaire américano-palestinien en zone A (voir encadré). Initialement impulsée avec des financements nippons, la zone franche de Jéricho bénéficie désormais aussi d’un soutien européen. Pour le moment, l’activité y semble encore réduite : 4 PME y sont enregistrées. Les autorités en attendent 6 autres d’ici la fin de l’année, pour 500 emplois créés. À terme, l’objectif est de générer 3 400 emplois et 17 000 emplois induits.

Nous sommes là, à Jéricho, neuf journalistes issus de huit pays de l’Union européenne (UE), invités par la délégation de l’Union européenne en Palestine afin d’y constater divers aspects des soutiens apportés à l’Autorité palestinienne (AP). Mais à huit mois de la première échéance, on peine à croire que ces ambitions seront assouvies dans les délais. D’autant que, très vite, les responsables palestiniens comme nos accompagnateurs européens émettent des réserves sur la sincérité israélienne s’agissant de laisser cette zone se développer. « L’énorme problème, se plaint Khaled Amleh, un des managers palestiniens, c’est : qui contrôle la frontière ? » La seule porte de sortie est le pont Allenby, sur le Jourdain, qui permet l’exportation des produits par la Jordanie. Il n’est ouvert que huit heures par jour, deux heures seulement le vendredi et fermé le samedi. « L’aéroport de Lod, lui, fonctionne 24 heures sur 24 pour l’export israélien, dit le Palestinien. Quand on se plaint, les militaires nous disent vouloir nous aider. En réalité ils nous baladent ». Les responsables de la zone franche négocient avec l’administration civile israélienne1 depuis deux ans une plus grande ouverture du pont. Rien ne bouge. « On dépend totalement de la volonté d’Israël. Nos produits pourrissent dans leur port d’Ashdod parce que les Israéliens ne délivrent pas les autorisations d’exportations ».

Un autre responsable palestinien de la zone franche se plaint que les Israéliens multiplient les obstacles administratifs : « Si Japonais et Européens ne font pas plus pression sur Israël, une grande part de leur investissement ici sera perdu », note-t-il. Amleh conclut : « À vrai dire, tant que nous ne contrôlerons pas notre frontière, les Israéliens pourront continuer de nous étrangler économiquement ». Nos accompagnateurs de la délégation de l’UE en Palestine écoutent, mutiques. Une fois dehors, un de ses membres nous dit, en aparté : « Les Israéliens ne veulent pas de négociation sur une solution politique de la question palestinienne. Mais Nétanyahou a souvent évoqué une “paix économique”. Or même ça, ils font tout pour l’empêcher, multipliant les blocages bureaucratiques. Alors que veulent-ils exactement ? »
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L’UE dépense 310 millions d’euros par an au soutien à la Palestine : 45 % vont au versement des salaires des dirigeants de l’AP et des fonctionnaires, 45 % aux services publics (adduction d’eau, écoles, hôpitaux, etc.), et 10 % aux projets non publics (essentiellement culturels et humanitaires). De plus l’UE verse 110 millions de dollars annuels à l’ Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA, United Nations Relief and Works Agency for Palestine Refugees in the Near East). Au total, avec les contributions individuelles des divers pays européens (la France est leader dans le domaine énergétique, les Pays-Bas dans l’aide à la justice, la Belgique dans l’éducation, etc.), la contribution de l’UE avoisine le milliard d’euros annuel. Par comparaison, la manne américaine à la Palestine dépasse de peu 600 millions de dollars annuels, dont plus de la moitié va au soutien « sécuritaire » (formation et entretien des services de police et de renseignements).

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« Je me demande souvent si nous ne sommes pas finalement un rouage de la machine incessante à l’œuvre pour renforcer la présence israélienne dans les territoires palestiniens. Bien sûr, ici et là nous empêchons certains dégâts, nous obtenons parfois des succès, mais dans l’ensemble ne contribuons-nous pas beaucoup plus à maintenir la fiction d’une Autorité palestinienne qui n’a en réalité pas de pouvoirs », permettant à Israël d’agir à sa guise ? Ainsi s’interroge ouvertement un employé de la délégation de l’UE en Palestine. Un diplomate d’un État disposant d’un consulat en Cisjordanie abonde. « Nous, Européens, continuons à nous battre pour préserver les accords d’Oslo. Cependant aujourd’hui les Israéliens disent qu’en zone C Oslo leur permet de faire comme bon leur semble. Et ils refusent tout débat sur le sujet. Dès lors, je me demande si je contribue à l’établissement d’un futur État palestinien qu’ils rendent chaque jour plus impossible ou au maintien de l’occupation ? » Cette question le taraude d’autant, ajoute-t-il, qu’elle n’aura de réponse que dans l’avenir. « Si un État palestinien voit le jour, nous y aurons contribué. Si c’est l’inverse, nous aurons facilité la croyance en une fiction et financé l’occupation ». Car, rappelle ce diplomate, le soutien financier européen aux Palestiniens permet à Israël de se dispenser de nombre de ses devoirs d’occupant prévus par le droit international. Sans l’AP et les financements européens et américains, Israël aurait dû payer la plupart des services fournis par l’AP et ses personnels.

À titre individuel, quelques-uns de ces fonctionnaires et diplomates européens tiennent un discours plus désabusé encore, évoquant une politique israélienne du type « village Potemkine » (trompe-l’œil à des fins de propagande), où il ne s’agit que de préserver l’illusion d’une normalité fictive. « En réalité, nous indique un interlocuteur européen, les Israéliens ne cherchent à rien solutionner, au-delà de leur propre sécurité. Au contraire, ils espèrent que le pourrissement amènera de plus en plus de Palestiniens à lâcher prise, pour étendre progressivement leur emprise sur la Cisjordanie. Jusqu’ici, cette politique leur a réussi ». [...] - 27 avril 2017

1 L’« administration civile » israélienne est le nom donné aux autorités militaires d’occupation qui gèrent les civils.

2 Federica Mogherini est l’actuelle chef de la diplomatie de l’UE.


Tiré de l’article de Sylvain CYPEL sur Orient XXI

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