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Témoignage de Mohammad sur le cinéma à Gaza : « C’était mon rêve d’aller au cinéma »

Publié le jeudi 19 mai 2016

Mohammad, palestinien originaire de Gaza, à l’occasion du festival « Palestine En Vue » nous a adressé ce témoignage sur le cinéma à Gaza

NB L’image représente le tapis rouge du festival du film à Gaza qui a eu lieu le 12mai 2016 relaté dans libération

"J’ai vécu en Palestine 22 ans dans le Sud de Gaza à Rafah. Je suis arrivé en France en 2003.

En 2004 j’ai eu l’occasion de me rendre au cinéma avec 3 amis palestiniens comme moi. C’était mon rêve d’aller au cinéma et eux aussi. On n’y été jamais allé. On a vu un film de science fiction très intéressant, avec une fin très triste. C’était la mort d’une femme qui avait vécu une très belle histoire d’amour avec le personnage principal. À la fin, l’homme a souhaité embrasser sa bien aimé même après sa mort. On voyait tout le monde dans la salle avec nous triste les larmes aux yeux. Soudain, mon ami se lève et se met à applaudir les acteurs comme dans une pièce de théâtre ou autres spectacle auxquels nous sommes habitués là où nous avons vécu. Et nous avons tous ri.

On vis en violence constamment depuis notre naissance, on regarde la télé des pays arabes et la plus part du temps des comédies, des comédies car toute notre vie nous la passions en action, comme dans un film, comme des acteurs. On a du mal à imaginer ce que peut être la plus grande injustice lorsque elle tourne devant nos yeux. Lorsque nous la vivons.

C’est possible de mentir et de faire un film qui raconte une belle histoire d’amour vécu par deux palestiniens à Gaza. On est capable de filmer et de raconter ça. Nous avons vécu au milieu de la guerre l’amour oui. Mais cet amour vécu dans une telle atmosphère ne peut être partagé comme vous le pensez. Ce que nous avons vécu à Gaza, cet amour, ces sentiments nous ne pouvons les partager et nous les emportons avec nous lorsque nous mourrons. Et je pense que personne parmi nous peut réellement définir, montrer, expliquer, exprimer la dure vie que nous avons traversé à Gaza, ni même en image.

Beaucoup d’habitants trouvaient inacceptable le fait d’ouvrir des cinémas à Gaza. Il y avait cette peur que ces films où la vie est belle influencent les habitants et les incitent à quitter la résistance pour une vie meilleure ... Nous rêvions tous d’une vie meilleure que la guerre ne nous permettais de vivre.

Nos grands parents, nos parents ne connaissaient pas les cinémas et si ils les connaissent ils n’y ont mis jamais mis les pieds de leurs vie.

Je sais que le premier cinéma en Palestine était à Jérusalem en 1908 et à Gaza dans les années 60. Une voisine m’avait raconté être allée au cinéma dans les année 60 avec son père. Elle avait 9 ans, c’était un film égyptien et lorsque une voiture s’est mise à rouler elle a eu très peur et a pensé que la voiture allait tous les écraser. Dans les année 80, il y avait 5 cinémas à Gaza où les femmes et les hommes étaient séparés. Avec tout ce que nous vivions, en période de guerre il est compliqué d’avoir un esprit ouvert face au cinéma.

C’est trop compliqué d’ouvrir un projet dans le cinéma à Gaza, acheter des films et les projeter. Les projets échoues rapidement avec tous les problèmes qu’englobe la ville et en particulier dans le domaine économique puisque la population est frappée par une grande pauvreté. La population a à peine de quoi survivre face à cette guerre injuste.

En 1996 deux cinémas ont été brûlés à Gaza suivis de blocus qui n’ont pas permis à l’autorité palestinienne de les ouvrir à nouveau.

Je vous assure que vivre dans une grande prison à ciel ouvert sans électricité environ 20h/24h sans matériel professionnel sont des conditions bien trop " complexes pour des projets cinéma. Les habitants de Gaza souffrent tellement que le cinéma, on y pense pas.

Mohammad S.

Paris, 19 mai 2016.