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La « high-tech » palestinienne veut son indépendance

Publié le vendredi 30 octobre 2015, Thèmes : - Économie, Lieux : - Ramallah

Le poids du secteur dépasse désormais celui de l’agriculture dans les Territoires palestiniens.

Les nouveaux entrepreneurs s’emploient aujourd’hui à dépasser la simple sous-traitance informatique d’entreprises israéliennes et le syndrome de « l’assistanat » entretenu par les ONG internationales.

Ils se font appeler les « Peeks », ces « Geeks » qui affichent fièrement en initiale le P de Palestine. Formés dans les écoles palestiniennes, puis façonnés dans des Masters « high-tech » internationaux et, pour certains, à la Silicon Valley, ils sont plusieurs dizaines à avoir fait le pari de revenir dans les Territoires pour participer au bouillonnant secteur des nouvelles technologies.

Davantage affranchi des frontières « physiques » kafkaïennes issues du conflit israélo-palestinien, le secteur fait aujourd’hui figure de locomotive d’une économie fortement handicapée par les effets de l’occupation. Selon le Bureau palestinien des statistiques, le secteur des technologies de l’information, qui représentait à peine 0,8 % du PIB palestinien en 2008, atteint aujourd’hui 11 %. Soit plus de 300 entreprises et 7 000 emplois en Cisjordanie et à Gaza. Des performances encore modestes mais qui dépassent, d’ores et déjà, celles du secteur agricole, pilier économique historique de la Palestine.

une importante réserve de « matière grise »

Ce « high-tech », qui a émergé dans les années 2000, se concentre à 40 % dans les activités de sous-traitance informatique. Les américains Cisco, Intel, Microsoft, mais également l’israélien Ness ont investi dans des sociétés-relais à Ramallah. Les Territoires palestiniens présentent, en effet, une réserve de « matière grise » – près de 2 000 ingénieurs sortent diplômés dans ce secteur chaque année – à des coûts salariaux très attractifs. La journée de travail se facture à près de 125 € contre plus de 500 € en Israël…

Mais la nouvelle génération 2.0 des Peeks refuse de se laisser confiner dans des postes de « forçats subalternes » de l’informatique, et rêve de se construire une « indépendance » dans le monde virtuel également. On ne compte plus aujourd’hui les initiatives de soutien aux pionniers de l’ère start-up en Palestine : « Start-up week-end » pour débusquer les projets prometteurs, concours de codage informatique, programmes de formation…

« célébration de l’échec »

L’un des visages de cette nouvelle génération tâtonnante mais déterminée est Yousef Ghandour. Casquette vissée sur la tête, il a déjà à son actif cinq start-up mais elles ont toutes, malheureusement, fini par péricliter : « Il a fallu beaucoup d’échecs avant de marcher sur la Lune », relativise ce « bosseur acharné » de 36 ans.

Dans le milieu des Peeks, il organise même des sessions de « célébration de l’échec ». Le concept : féliciter ceux qui ont eu le courage de lancer leur start-up, en dépit de l’issue funeste. « L’audace des entrepreneurs n’est pas du tout valorisée dans la société palestinienne », déplore Yousef, à la tête aujourd’hui du premier « incubateur » de start-up palestinien, Startforward (« Marche avant »).

Fondé en janvier 2013, il finance à hauteur de 15 000 € les premiers pas souvent titubants des projets 2.0. En avril 2011, le tout premier fonds capital-risque palestinien, Sadara Ventures, a également vu le jour. Fruit d’une association unique entre deux visionnaires : le Palestinien Saed Nashef, ancien programmeur de Microsoft, et l’investisseur israélien Yadin Kaufmann.

Financé notamment par la Banque européenne d’investissement (BEI), le duo compte déjà plusieurs succès en Palestine : Yamsafer – un site de réservation d’hôtels qui couvre l’ensemble du monde arabe – et Souktel – un système de SMS visant à mettre en relation demandeurs d’emploi et employeurs dans des zones reculées en Palestine, mais aussi au Rwanda ou en Égypte.

sortir de la logique des investissements « charité »

Le succès de ces start-up, bien que toujours modestes – quelques dizaines d’employés –, s’explique en partie parce qu’elles comblent un des besoins les plus urgents du Proche- et du Moyen-Orient sur la toile : le manque de contenus Internet directement façonnés en langue arabe et adaptés aux besoins des internautes locaux. Ces derniers ne représentent aujourd’hui que 3 % alors qu’ils devraient être, compte tenu du poids démographique, au moins 6 fois supérieurs. Un terrain rempli d’opportunités, car nécessitant des investissements initiaux relativement modestes.

« Ce n’est pas demain que la Palestine pourra fabriquer et exporter des produits high-tech ultrasophistiqués, mais on peut voir un frémissement », analyse Faris Zaher, l’un des fondateurs de Yamsafer. En attendant, les Peeks ont un objectif : sortir de la logique des investissements « charité » des pays donateurs et ONG souvent gaspillés, pour parvenir à des financements « gagnant-gagnant » purement économiques. « Là, on aura gagné, souffle Yousef Ghandour. La Palestine aura cessé d’être seulement la Palestine. »

Helène Jaffiol, à Ramallah pour LACROIX

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